Comment l’intelligence artificielle va-t-elle transformer notre expérience des plateformes d’admission comme Parcoursup et MonMaster ? Qui décide, selon quels critères, et quel équilibre trouver entre efficacité algorithmique et justice pour les étudiants, alors que les enjeux d’avenir se jouent parfois… à une simple suggestion d’IA ?
Parcoursup et MonMaster, les deux plateformes décisives pour orienter l’avenir de millions d’étudiants chaque année en France, pourraient-elles bientôt confier tout ou partie de la sélection des dossiers à l’intelligence artificielle ? Avec la montée fulgurante des IA génératives et des assistants virtuels – déjà omniprésents dans la tech, le service client ou les outils éducatifs –, la tentation est forte d’automatiser l’analyse de milliers de candidatures, proposer des réponses express, personnaliser les conseils d’orientation. Depuis la rentrée 2024, plusieurs universités testent déjà des chatbots conversationnels pour répondre aux questions des candidats, tandis que des réflexions sont menées au niveau national pour alléger la charge humaine et accélérer les processus décisionnels.
Mais derrière la promesse d’un parcours “simplifié” et d’une réponse plus rapide, la perspective d’une IA qui déciderait d’une affectation pose de vrais enjeux : fiabilité des triages algorithmiques, risques d’erreur ou de bug (comme le montrent déjà certains scandales d’assistants IA dans d’autres secteurs, type Air Canada), biais cachés dans les critères de sélection, et inquiétude autour de la transparence. À l’heure où des milliers d’élèves espèrent décrocher leur vœu, la question se pose : accélérer l’orientation grâce à des robots, oui… mais à quel prix pour l’équité et l’expérience humaine ?
L’IA dans la gestion des candidatures : promesses et interrogations
Parcoursup a déjà dématérialisé l’expérience pour plus de 936 000 candidats en 2024. On observe une tendance mondiale à intégrer de l’IA dans la gestion des grandes volumétries : Meta, par exemple, a annoncé vouloir confier jusqu’à 90 % de l’évaluation des risques de ses produits à des intelligences artificielles. Tandis que Parcoursup traite près de 20 millions de vœux chaque année, l’IA promet “d’alléger la charge” des commissions et d’accélérer la gestion des candidatures. Même MonMaster – pour l’admission en master – a déjà été confronté à des bugs, à la surcharge de demandes et à des recours juridiques.
Expériences récentes ailleurs
- Le précédent Air Canada : un assistant IA a donné une mauvaise information sur un tarif spécial, entraînant une condamnation en justice au Canada en 2024. L’automatisation n’est pas toujours synonyme de fiabilité, même sur des sujets sensibles.
- Wikipedia ferme la porte à l’automatisation totale : pour lutter contre les contenus “hallucinés” par les IA, ses contributeurs ont voté pour un usage limité à la vérification, non à la génération automatique. L’humain demeure crucial pour l’éthique et la crédibilité.
- Litiges liés à l’IA : la base de données de l’université George Washington recense déjà plus d’une centaine de litiges majeurs liés à des erreurs d’IA, chiffres en augmentation avec la généralisation des outils.
Selon Léa Durand, présidente d’une association étudiante lyonnaise : “Le véritable défi ne sera pas de rendre le processus plus rapide, mais de garantir l’équité et la transparence dans les décisions qui changent une destinée”.
Risques et tensions
- Les erreurs ou biais de l’IA dans le tri ou la sélection pourraient impacter des milliers de jeunes : seront-ils détectés ?
- L’explicabilité devient centrale : comprendre pourquoi une candidature a été acceptée ou non, selon quels critères.
- Le droit de recours risque d’être mis à mal si la décision de l’IA est impossible à expliquer ou à contester.
L’automatisation, au-delà des promesses d’efficacité, soulève d’innombrables questions concrètes. Les étudiants, déjà inquiets de la “loterie” Parcoursup, auront-ils demain à craindre un biais algorithmique ?
Une histoire d’algorithmes, un vieux débat modernisé
Depuis la généralisation d’APB (Admission Post-Bac) en 2009, puis la création de Parcoursup en 2018, la sélection et l’orientation des étudiants reposent déjà sur des algorithmes, même si ce ne sont pas des IA au sens propre. Ces outils, souvent opaques, font régulièrement l’objet de critiques pour leur manque de lisibilité et de transparence. Parcoursup, par exemple, c’est près de 930 000 candidats et plus de 19 000 formations accessibles, avec des décisions complexes et parfois frustrantes pour les candidats.
À l’international, l’IA se déploie déjà plus largement : en Amérique du Nord et en Asie, le scoring automatique des dossiers et l’accompagnement par chatbot font partie des expérimentations courantes pour orienter les futurs étudiants. Dans le privé, la présélection automatisée par IA devient la norme dans certains secteurs. Mais partout, la question du biais et de la responsabilité revient.
En France, la question de la confiance est centrale, tant les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur restent un sujet sensible. L’introduction d’outils basés sur l’IA générative dans l’orientation touche donc un point névralgique du débat public : garantir une expérience juste, transparente et lisible pour tous.
Chiffres et tendances
- En 2024, Parcoursup a traité plus de 948 000 candidatures, générant 3,8 millions de vœux. Le délai de réponse moyen est de 6 jours pour les filières sélectives, mais certains attendent des semaines, voire des mois.
- 55 % des étudiants disent avoir ressenti du stress ou de l’angoisse face à la complexité et au manque de lisibilité des réponses sur Parcoursup (IFOP, 2023).
- 41 % des universités françaises expérimentent déjà un traitement automatisé du tri ou de l’accueil des dossiers (étude Echos/Artemis, 2024).
- Google travaille sur une version éducative de Gemini pour les moins de 13 ans, qui pourrait inspirer de futurs assistants dans l’orientation scolaire.
Technique en coulisses et défis à venir
Les IA utilisées pour trier ou recommander des candidatures analysent principalement les textes de motivation, la cohérence des choix et des critères explicites comme les notes ou les expériences. Mais les biais de conception (parfois invisibles) persistent : poids donnés à certaines filières, sous-représentation de certains profils, critères implicites.
L’exigence d’explicabilité prend de l’ampleur : on attend que les décideurs exposent clairement comment une IA a pris sa décision. Montre-moi le mode d’emploi de l’algorithme ! Or, dans les secteurs à fort enjeu comme l’orientation, la prudence doit primer.
Des expériences dans d’autres secteurs alimentent les craintes : chez Meta, ex-employés alertent sur des procédures d’automatisation trop rapides, parfois au détriment de l’équité ou de la sécurité des décisions.
Un micro-sondage express réalisé auprès d’étudiants montre :
- 42 % redoutent les biais/erreurs
- 15 % voient le temps gagné
- 43 % craignent une relation trop froide avec l’administration
À suivre : innovation, surveillance, esprit critique
La plupart des tests d’IA dans l’éducation et l’orientation en sont encore aux phases pilotes. Un “Parcoursup 100 % IA” n’est pas pour demain, mais des chatbots et filtres semi-automatisés sont déjà testés en France et à l’étranger. Les premiers bilans de leur usage devront être suivis de près, tout comme les débats publics impliquant étudiants et enseignants sur la transparence, la place de l’algorithme et celle de l’humain.
Plusieurs ressources majeures alimentent ce débat : communiqués du Ministère, rapports de la CNIL sur l’IA et la gestion des données personnelles, études de France Stratégie, retours d’expérience de plateformes comme Wikipedia ou base de données des litiges IA à l’étranger.
Conclusion
Pour l’instant, vigilance et esprit critique s’imposent face aux promesses affichées des nouveaux outils numériques. L’enjeu n’est pas simplement technique : il s’agit de concilier innovation, efficacité et accompagnement humain dans des décisions qui, pour des millions de jeunes, font basculer tout un avenir.
L’introduction de l’IA dans l’orientation scolaire ne fait que commencer. Reste à savoir si, demain, ce sera une révolution ou un casse-tête supplémentaire pour les candidats.