Ultra-connectée, souvent précaire mais toujours créative, la jeune génération jongle entre apps anti-gaspi, astuces voyage trouvées sur TikTok et cagnottes solidaires pour profiter malgré un budget serré. Dans un contexte où la tech promet entraide et bons plans, mais entretient aussi nouveau stress et inégalités, les jeunes actifs réinventent l’art de voyager, manger et partager autrement.
Des jeunes actifs digitaux et épicuriens, vivant entre Lyon, Paris ou Barcelone, et jonglant entre salaires limités, envies d’ailleurs et quête de sens : voilà le visage de la génération qui planifie week-ends et vacances en scrollant sur Instagram et TikTok, repère les restos “pépite” sur des applis, partage des box anti-gaspi ou lance une cagnotte pour s’offrir une escapade. Leur quotidien : combiner bons plans food, économie collaborative et outils tech pour essayer de voyager, manger et partager sans exploser le budget ni ses valeurs.
Aujourd’hui, alors qu’il est plus coûteux que jamais de partir à l’étranger et que les notifications WhatsApp ou Insta dictent les découvertes, la débrouille digitale s’impose. C’est partout où la génération “connectée mais fauchée” s’inspire : Lyon, Berlin, Barcelone, coffee shops, colocs ou cuisines confinées de jeunes urbains en quête d’authenticité. Grâce à un écosystème d’applications (Too Good To Go, Vinted, Airbnb, cagnottes Leetchi), de réseaux sociaux, de blogs et de maps partagés, ils s’impliquent dans des solutions hybrides et solidaires : sous-location entre amis, financement de vacances via cagnottes, échanges avec des foodies locaux, participation à des ateliers collectifs. L’objectif : vivre des expériences “vraies”, responsables et abordables, le tout porté par l’innovation tech — parfois trop présente, souvent indispensable.
Profiter, découvrir, partager, sans renoncer à ses convictions ou à son plaisir : la tech peut-elle vraiment concilier tous ces désirs pour la nouvelle génération d’épicuriens connectés ?
Une génération entre débrouille numérique et galère bien réelle
Un rapide tour dans les groupes WhatsApp ou les stories Insta suffit à prendre le pouls : “Les jeunes galèrent, mais au moins, ils bricolent”, résume Ronan Chastellier, sociologue. D’après une étude OpinionWay pour Kley, plus de 90 % des 25-39 ans jugent qu’il est « difficile » pour un jeune actif de se loger dans une grande ville. Plus de la moitié préfèrent que leur boîte les aide à payer leur loyer plutôt qu’à leur offrir une voiture de fonction ou une super mutuelle. Résultat : colocs, sous-locations “discrètes”, coups de pouce entre amis, Airbnb à la carte et plateformes d’entraide se sont imposés, devenant la norme.
“Quand plus du tiers de votre budget, voire la moitié, est absorbé par le logement, tout gravite autour de cette contrainte. Les jeunes actifs rusent, se serrent les coudes ou testent chaque app susceptible de leur rendre la vie plus facile — parfois au détriment du confort ou de la tranquillité d’esprit.”
— Ronan Chastellier
Dans l’assiette, même combat. Le succès de Too Good To Go ou la ruée sur les box anti-gaspi témoignent de la recherche de bons plans économiques et écolos. Plusieurs millions de paniers sont sauvés par an, majoritairement par des urbains de moins de 35 ans qui jonglent entre conscience environnementale et fin de mois difficiles.
Pour les voyages, la tendance est à partir souvent sans faire exploser la carte bleue. La plateforme “Broke and Abroad” cartonne, les micro-influenceurs partagent leurs astuces, et TikTok regorge de comptes “Galères et bons plans” qui optimisent la moindre escapade. Sur Instagram en 2024, plus de deux millions de posts étaient tagués #travel ; sur TikTok, les contenus voyage ont bondi de 410 % depuis 2021.
Les réseaux sociaux : nouvelle agence de voyages (mais pas sans risques)
Pour Bertrand Réau, sociologue du tourisme, “Les réseaux sociaux ont carrément remplacé les guides de voyages auprès de la Génération Z.” Stories dynamiques, géolocalisation, Google Lists : les vacances se planifient en ligne, par effet de mode. Pratique, certes, mais cela entraîne une homogénéisation dangereuse des parcours et une standardisation : Bali, Lisbonne ou les calanques saturent chaque été, alors que d’autres lieux restent désertés.
“Ce n’est pas qu’une question de confort. Ces pratiques accentuent le surtourisme, poussent à la validation sociale à tout prix et risquent de conduire à des désillusions : on se retrouve sur LA plage Insta, bondée, déçu d’avoir juste suivi une tendance.”
— Bertrand Réau, chercheur au Cnam
Innovations tech et gestes solidaires : élan et limites
La tech n’est pas qu’un outil, c’est aussi une facette plus humaine, parfois réconfortante. Les cagnottes en ligne ont progressé de 16 % entre 2023 et 2024 selon Leetchi, servant à financer des vacances collectives ou aider les plus précaires. Pour les jeunes suivis par l’aide sociale à l’enfance, les vacances restent souvent inaccessibles sans solidarité active — collecte de dons, petits boulots, et financement numérique.
“Nous avons collecté 3 000 € en dix jours grâce à la solidarité en ligne, couplée à l’effort des jeunes eux-mêmes : vente de boissons, collecte dans la rue, apprentissage de l’autonomie… Le voyage devient un acte d’émancipation collective.”
— Laura, éducatrice spécialisée, foyer d’accueil en région parisienne
Précarisation déguisée et promesse d’authenticité : la frontière ténue
Mais derrière les applis flamboyantes, la précarité demeure. Chez les livreurs Deliveroo, la flexibilité a laissé place à la soumission, confirmée par la condamnation de l’entreprise pour travail dissimulé. Tenues imposées, zones définies, procédure stricte : la réalité est bien loin de la communication d’entreprise. Sur le marché immobilier aussi, la sous-location avance dans le flou, répondant davantage au besoin urgent qu’à une solution pérenne.
Jusqu’où la débrouille peut-elle remplacer des alternatives structurelles ? Peut-elle réellement renforcer l’entraide, ou au contraire, aggraver la précarisation ? Le débat reste ouvert.
Ce qu’il faut retenir
- Entre un tiers et la moitié du budget des jeunes actifs part dans le logement : d’où l’essor des solutions alternatives, parfois au prix du confort personnel.
- Usages solidaires de la tech en plein boom, mais multiplication des pièges (arnaques, fausse indépendance des plateformes, fake bons plans).
- 410 % d’augmentation des contenus travel sur TikTok : les algorithmes dictent tendances et pratiques touristiques, parfois au détriment de l’authenticité.
- Entraide et engagement éthique coexistent avec précarisation, surcharge mentale et standardisation des expériences.
La tech peut-elle réconcilier goût du collectif, besoins de base (se loger, manger, voyager) et quête d’expériences vraiment différentes ? Ou reste-t-on en mode “système D”, dissimulé derrière la façade séduisante des applis ? La réponse se dessinera, sans doute, au fil des Reels, des cagnottes en ligne et surtout, par l’invention de réponses collectives à échelle humaine.
Quand la tech et la débrouille redéfinissent les usages food & travel chez les jeunes
Il y a quinze ans, planifier un city-trip ou un brunch passait par un guide papier, Le Fooding dans le tote bag, quelques pages du Routard ou le téléphone à l’office de tourisme. Aujourd’hui, les contenus touristiques publiés sur TikTok ont été multipliés par quatre entre 2021 et 2025 ; deux millions de posts voyage ont été recensés sur Instagram rien qu’en 2024. Près de 80 % des moins de 30 ans commencent à planifier une escapade sur les réseaux, plutôt que via les plateformes ou agences “classiques”.
Ce changement est d’abord une réponse à la double contrainte économique et sociale. Le budget vacances d’un jeune actif en France stagne autour de 500 à 700 € par an ; le loyer, lui, engloutit 35 à 50 % des dépenses en grande ville (OpinionWay pour Kley, 2023). D’où la montée en puissance de la débrouille : colocation (expérience vécue par un tiers des actifs de moins de 35 ans), sous-location via réseaux ou plateformes, augmentation de 16 % des cagnottes solidaires (Leetchi).
La food suit la même mutation digitale et démocratisée : Too Good To Go, box anti-gaspillage ou abonnements de kits-recettes ont séduit une génération à la recherche de bons plans pour consommer mieux, sans se ruiner et en se donnant bonne conscience. En 2024, 56 % des utilisateurs de Too Good To Go ont moins de 35 ans ; 41 % affirment l’utiliser pour “faire un geste écolo au quotidien”.
Mais cette révolution digitale n’est pas miraculeuse. Certaines plateformes flirtent avec la zone grise (Deliveroo condamné, Airbnb déstabilisant le marché locatif), tandis que les “bons plans” cachent parfois des risques ou exclusions pour ceux qui ne maîtrisent pas les codes numériques.
La tech accélère les opportunités et, parfois, creuse les inégalités. Pourtant, elle ouvre aussi la voie à de nouvelles dynamiques solidaires : crowdfunding, réseaux d’entraide, communautés food engagées. La différence se fera dans la capacité à distinguer le “bon plan branché” de la vraie innovation sociale, locale et inclusive.
Détails en vrac
- Le budget vacances des 18-34 ans est serré : selon le Crédoc, un tiers ne part pas chaque année faute de moyens, d’où le recours aux solutions digitales (colocations, cagnottes, sous-locations sur Insta ou WhatsApp).
- Plus de 90 % jugent difficile de se loger à prix correct ; sous-location express et hébergement chez des proches deviennent courants, au risque de perdre la notion de “chez-soi”.
- Certains comptes bons plans sur Instagram et TikTok, lancés après 2020, dépassent les 10 000 abonnés en quelques mois ; attention, près d’un contenu sur deux parmi les principaux influenceurs voyage est sponsorisé (Greenpeace 2023).
- Les ventes de guides papier (Routard, Michelin) ont reculé de 6 % entre 2023 et 2024, au profit des vidéos courtes et interactives.
- Too Good To Go : plus de 12 millions d’utilisateurs en France, surtout chez les jeunes. Box anti-gaspi, paniers fermiers et kits recettes séduisent particulièrement après les confinements.
- Cagnottes solidaires : +16 % en 2024 sur Leetchi, participations individuelles +25 %. Le participatif sert à financer séjours, projets éducatifs, vacances de parents solos.
- Deliveroo condamné pour travail dissimulé : l’illusion de la flexibilité dissimule précarité et absence de droits sociaux.
- Le tourisme viral sur Insta/TikTok entraîne la saturation de spots autrefois “inexplorés”, Bali, plages Marseille, etc. Les jeunes combinent influenceurs, Google Maps et blogs pour éviter la foule.
- Le local et le collectif reviennent : coliving/coworking orientés food, ateliers DIY, circuits courts urbains reliés via apps. Les jeunes urbains se connectent à des commerçants, créateurs indépendants, nouveaux épicuriens en quête de sens.
- À Lyon, l’association “Épicure à Vélo” propose une map collaborative des foodtrucks éthiques. Certaines auberges organisent des soirées batch cooking anti-gaspi, accessibles via des apps locales.