Au moment où la France s’interroge sur son avenir énergétique, entre relance du nucléaire et incertitudes sur les renouvelables, l’intelligence artificielle et les technologies émergentes s’invitent dans le débat. Comment ces innovations pourraient-elles transformer la gestion des réseaux et accélérer la transition climatique, face aux défis économiques, industriels et sociaux d’aujourd’hui ?
Alors que la France traverse une période charnière pour son avenir énergétique — avec un Parlement qui relance le nucléaire tout en entretenant le flou sur la place du solaire et de l’éolien —, un mouvement mondial s’accélère : près de 93 % des nouvelles capacités électriques installées en 2024 à l’échelle internationale sont issues des renouvelables, portées principalement par la Chine et l’essor du solaire. Sur fond de débats à l’Assemblée nationale entre choix politiques et réalités industrielles, c’est à Paris, lors du salon VivaTech, que les regards se tournent désormais vers une possible révolution de la gestion énergétique grâce à l’intelligence artificielle et aux technologies émergentes. Pourquoi ce tournant ? Parce que l’IA, l’IoT et la blockchain pourraient transformer la manière dont la France — et l’Europe — pilotent leurs réseaux, anticipent l’intermittence, maîtrisent les coûts et avancent vers la neutralité carbone. Mais cette intégration technologique interroge : sommes-nous prêts, politiquement, économiquement et humainement, à opérer ce saut qualitatif ? La double urgence climatique et industrielle impose d’en débattre dès maintenant, au cœur des territoires comme dans les grandes messes de l’innovation.
La France aborde le virage énergétique de la décennie dans une atmosphère électrique, marquée par un arbitrage délicat entre relance du nucléaire et incertitudes sur l’avenir des renouvelables. Dernier épisode en date : le vote par le Sénat, le 8 juillet, d’une loi donnant la priorité à la construction de 14 nouveaux réacteurs EPR2, tout en ménageant un flou stratégique sur les objectifs dédiés au solaire et à l’éolien — lesquels devront attendre un décret à l’automne pour être précisément fixés.
Une orientation dénoncée par de nombreux acteurs. Yannick Jadot, eurodéputé écologiste, rappelle que « 93 % des nouvelles capacités de production électriques installées en 2024 dans le monde sont des énergies renouvelables », citant les derniers chiffres de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA). Selon le rapport IRENA 2025, 92,5 % des capacités électriques ajoutées mondialement en 2024 sont renouvelables, notamment du solaire : les trois quarts de ces nouvelles installations sont photovoltaïques, avec la Chine pour locomotive incontestée (63 % des ajouts mondiaux, soit 274 GW en une seule année). La France, elle, a ajouté environ 5 GW, pour l’essentiel du solaire et de l’éolien (60 % solaire), un record qui ne représente qu’environ 1 % du total mondial.
Sur le plan politique, le contraste est frontal : la proposition de loi Gremillet, sous l’influence de plusieurs amendements, a même failli entériner un moratoire sur l’éolien et le photovoltaïque — finalement mis de côté. Mais à l’Assemblée nationale, le débat se poursuit : le Syndicat des énergies renouvelables (SER) alerte sur le risque d’exclusion du solaire et de l’éolien de la future programmation énergétique, jugeant la démarche « irresponsable » et contraire au mouvement global. Jules Nyssen, président du SER, prévient : « Dessiner l’avenir énergétique de la France sans solaire ni éolien est totalement irresponsable ; il est urgent de réintroduire ces filières stratégiques dans le texte. »
L’exécutif tente d’apaiser le jeu. Emmanuel Macron a publiquement rappelé, le 3 juillet, la nécessité des renouvelables pour atteindre la neutralité carbone en 2050 : « On a besoin de renouvelable… Il ne faut pas tout caricaturer », a-t-il insisté depuis l’Aveyron, tout en appelant à « constance et investissement ». À ses côtés, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a jugé « dramatique et irresponsable » l’idée d’arrêter de financer ces filières, en réponse aux positions plus radicales de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, partisan de la priorité nucléaire et du gel des subventions à l’éolien et au solaire.
La France doit donc garantir la sécurité d’approvisionnement face au vieillissement du parc nucléaire et accélérer sur l’intégration du solaire et de l’éolien, à l’instar de la tendance mondiale. Un retard dans l’innovation industrielle et numérique pourrait coûter cher, tout comme la perte de la dynamique d’emplois et d’industrialisation verte portée par le secteur renouvelable (plus de 166 000 emplois selon le SER). L’enjeu de la crédibilité climatique s’ajoute à une électrification massive des usages qui s’accélère ; la robustesse, la flexibilité et l’intelligence du réseau deviennent vitales.
La France se trouve à un carrefour, sommée de sortir des postures idéologiques pour s’aligner sur la trajectoire mondiale des renouvelables tout en sécurisant un mix robuste. L’innovation technologique est nécessaire pour orchestrer cette bascule sans renoncer à la compétitivité ni à la transition bas-carbone. Les prochaines semaines seront décisives : entre arbitrages politiques et déploiement (ou non) des solutions technologiques de rupture, c’est le futur énergétique et industriel du pays qui est en jeu.
La transition énergétique, enjeu cardinal du XXIe siècle
La transition énergétique, enjeu cardinal du XXIe siècle, s’inscrit dans une histoire longue et parfois sinueuse, où choix techniques, géopolitiques et culturels se conjuguent. Pour saisir les défis actuels, il faut les mettre en perspective face aux grandes trajectoires mondiales et aux ruptures récentes.
Si la France a longtemps fait figure de cas d’école avec un mix dominé par le nucléaire (plus de 63 % de sa production en 2023), sa singularité tranche avec les tendances mondiales. Ailleurs, le dynamisme des renouvelables bouscule les paradigmes. Selon l’IRENA, 92,5 % des nouvelles capacités électriques mises en service à l’échelle mondiale en 2024 sont des installations renouvelables – un chiffre record qui traduit un changement de tempo inédit. Pourtant, la production réelle reste en retard (seulement environ un tiers de l’électricité mondiale), le stock d’infrastructures fossiles ou nucléaire restant dominant.
Derrière ces succès globaux, les écarts sont considérables : la Chine tire largement la croissance, concentrant près de 63 % des nouvelles puissances renouvelables (274 GW sur un total mondial de 435 GW en 2024), essentiellement via le solaire photovoltaïque. L’Europe, encore fragmentée sur le sujet, avance plus prudemment. La France, par exemple, n’a ajouté que 5 GW en 2023 (principalement en solaire et éolien), un chiffre modeste compte tenu de ses ambitions climatiques et de son poids industriel.
La récente relance politique du nucléaire (plan EPR2) relance les controverses : la programmation pluriannuelle de l’énergie votée au Sénat prévoit 14 nouveaux réacteurs, mais reste vague sur les objectifs de renouvelables. L’exclusion temporaire du solaire et de l’éolien des textes législatifs a suscité la colère du secteur et des experts, alors même que l’UE et l’IRENA pointent ces deux filières comme les plus stratégiques à l’échelle globale. Les enjeux dépassent d’ailleurs la seule production : emplois industriels (plus de 166 000 dans les énergies renouvelables françaises), compétitivité, acceptabilité sociale et souveraineté énergétique alimentent des arbitrages de plus en plus serrés.
La révolution numérique accélère la complexité du paysage : l’informatisation des réseaux, l’arrivée des smart grids ou la multiplication des outils d’analyse de données transforment la gestion énergétique. Cette mutation structurelle place la France, comme ses voisins, face à trois défis : garantir la sécurité, réduire l’empreinte carbone et assurer la compétitivité. Pour y répondre, l’intégration des technologies émergentes — intelligence artificielle, IoT, blockchain — pourrait, pour la première fois, permettre de concilier les exigences de mix énergétique flexible, de sobriété et de souveraineté, tout en préparant la société aux besoins et risques du climat de demain.
Capacités renouvelables et rôle des technologies émergentes
En 2024, 92,5 % des nouvelles capacités électriques installées dans le monde sont renouvelables, principalement du solaire photovoltaïque (75 % du total, largement porté par la Chine avec 216 GW sur 270 GW mondiaux, selon l’IRENA). En France, la progression est bien plus timide : 5 GW ajoutés l’an dernier, soit moins de 1 % du rythme mondial. L’Hexagone reste l’un des rares grands pays occidentaux à s’appuyer massivement sur le nucléaire (plus de 60 % du mix), tandis qu’à l’échelle du G20, la dynamique est clairement du côté du renouvelable. Le secteur des renouvelables français mobilise plus de 166 000 emplois directs et indirects (SER), mais les filières éolienne et solaire pourraient être marginalisées dans les textes actuels.
Du côté des réseaux intelligents, Enedis recense 38 millions de compteurs Linky en 2024, qui génèrent 400 millions de données/an, autant de gisements pour l’IA appliquée à la prévision de consommation et à la détection d’anomalies en temps réel. L’autoconsommation et les « micro-grids » pilotés par IA restent encore marginaux en France (moins de 1,5 % de la production), mais représentent une piste suivie de près, notamment par les start-ups présentes à VivaTech et chez les promoteurs de smart cities d’Europe du Nord.
Malgré l’émergence de solutions permettant la certification et l’échange pair-à-pair d’énergie verte via la blockchain, la France avance prudemment, la majorité des expérimentations restant à l’échelle pilote en raison de la régulation. Même l’IA, malgré des avancées spectaculaires dans l’analyse de données énergétiques massives, rencontre des limites. Des études récentes pointent des difficultés avec l’anticipation des comportements humains imprévisibles ou face à des scénarios extrêmes, ce qui pose la question de la cybersécurité et de la résilience des réseaux.
Le stockage d’électricité par batterie lithium-ion double tous les quatre ans au niveau mondial, mais la France marque le pas sur ce volet stratégique, avec moins de 0,5 % de capacité installée dédiée au stockage en 2024, une faiblesse qui pèse sur la gestion de l’intermittence solaire et éolienne. À VivaTech, plus de 85 % des entreprises tech interrogées prévoient d’augmenter leurs investissements en IA pour l’énergie et l’environnement d’ici deux ans, illustrant le virage stratégique déjà pris par les géants chinois et nord-américains.
Débats, perspectives et prochaines étapes
Pour approfondir, des rapports comme ceux de l’IRENA ou du Ministère de la Transition écologique offrent des données clés, de même que les grands événements comme VivaTech ou Devoxx France, où se dessine chaque année l’écosystème tech-énergie de demain. Partout en France et en Europe, des initiatives citoyennes et des débats communautaires prennent également le relai pour garder le cap et interpeller les décideurs.
La trajectoire du mix énergétique français, l’irruption de l’IA et des technologies émergentes dans l’énergie, ou encore les débats sur la gouvernance et la souveraineté restent en pleine évolution. Les annonces politiques à l’automne (décrets PPE…), les prochaines éditions de VivaTech ou la future législation européenne sur l’IA sont autant d’étapes à surveiller au fil des prochains mois.
Sujets, bonnes pratiques, innovations, écueils… L’écosystème bouge vite. Les retours d’expérience de terrain, les cas d’usage (smart home, pilotage énergétique, sécurité…) et les contributions citoyennes vont rester déterminants pour comprendre ce que la convergence entre technologie et énergie change déjà – et changera demain – au quotidien. Le débat reste ouvert.