Comment TikTok et les réseaux sociaux redéfinissent-ils notre façon de découvrir, consommer et valoriser la gastronomie française – des fromages AOP aux initiatives anti-gaspi – alors même que questions de transparence, désinformation et influence sociétale viennent bousculer la food culture ? Plongée dans cette révolution numérique où tradition du terroir et tendances virales se rencontrent, pour le meilleur… et parfois pour le pire.
Créateurs food et micro-influenceurs, producteurs artisanaux de fromages AOP comme ceux du roquefort sur le plateau de l’Aveyron ou le chaource de l’Aube, jeunes urbains, start-ups engagées dans l’anti-gaspi telles que Too Good To Go, et institutions européennes ou françaises en charge de surveiller les contenus en ligne, tout ce monde compose désormais l’écosystème de la nouvelle food culture numérique.
Ce phénomène s’est accéléré avec la pandémie pour s’ancrer dans le quotidien. Les vidéos TikTok, les Reels vitaminés sur Instagram et des challenges éco-responsables dopent la visibilité de produits du terroir, autrefois jugés désuets, tels que le roquefort ou le chaource. Simultanément, le succès de Too Good To Go s’appuie sur cette viralité, mettant en avant l’anti-gaspi devenu réflexe, tandis que les institutions font de la transparence et de l’éducation contre la désinformation alimentaire un nouvel enjeu public.
À coups d’algorithmes, une vidéo ASMR de découpage de roquefort peut désormais atteindre 2 millions de vues, un tuto “tarte géante au chaource” mobiliser des dons, et Too Good To Go enregistrer des records quotidiens de paniers “presque périmés”. Les artisans, eux, s’adaptent pour répondre à l’impératif de transparence et lutter contre les fake news alimentaires qui prolifèrent dans le sillage de la viralité.
Au fond, la nourriture demeure un marqueur identitaire et social autant qu’un plaisir créatif. Mais dans un écosystème digitalisé, la frontière entre authenticité, hype et crédibilité devient plus fragile. La bataille de l’attention et de la confiance se rejoue dans nos assiettes… et dans nos têtes.
La food culture française à l’ère numérique
En 2024, la food culture française passe à la moulinette des réseaux sociaux. Près de 9 jeunes Français sur 10 (18–35 ans) déclarent s’inspirer des réseaux pour tester de nouvelles adresses food ou produits (YouGov, 2024). TikTok est devenu un laboratoire d’émotions et de viralité : une simple vidéo de découpe de roquefort fait exploser la visibilité, attire des curieux dans les caves, même si les ventes poursuivent leur recul (–4 % pour le roquefort cette année).
Du côté du chaource, même constat : alors que moins de 2 500 tonnes sont produites chaque année (Ministère de l’Agriculture), des vidéos montrant le moulage à la louche déclenchent des flows de likes et un regain de fierté patrimoniale, tout en soulevant des questions sur l’avenir d’une filière fragile.
Face à cet emballement digital, les professionnels alertent sur l’urgence d’éduquer à l’authenticité alimentaire. Au sommet, la Commission européenne exige que les plateformes rendent des comptes : “Les citoyens ont le droit de savoir qui se cache derrière les messages qu’ils voient”, rappelle notamment Henna Virkkunen, commissaire européenne à la Souveraineté technologique (mai 2024). En cas de manquements sur la transparence ou la traçabilité des campagnes, TikTok risque jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires mondial sous l’effet du Digital Services Act.
Quelques chiffres marquants
- 2 500 tonnes de chaource produites par an,
- 20 000 tonnes de roquefort (troisième fromage AOP le plus vendu en France, en chute malgré le buzz),
- 8 millions d’utilisateurs actifs mensuels de TikTok en France (principalement âgés de 15 à 35 ans),
- une hausse de 25 % des téléchargements Too Good To Go portée par la viralité.
La tradition culinaire face à la viralité et l’IA
Pendant des siècles, la culture alimentaire française s’est transmise “en vrai”, du marché de village à la table familiale. En moins de dix ans, la révolution numérique a bouleversé cette logique. Plus de 1,5 milliard d’utilisateurs de TikTok dans le monde, l’irruption des applications anti-gaspi et la prise de conscience environnementale collective ont redessiné les frontières de la gastronomie.
Aujourd’hui, une recette “tartine raclette x intelligence artificielle” agite les suggestions TikTok et peut bouleverser le quotidien d’un fromager. Dans plusieurs pays européens comme la France, l’Italie ou l’Espagne – mais aussi aux États-Unis ou au Japon – les labels traditionnels se voient challengés par des créateurs qui détournent, réinventent, démocratisent… ou propagent parfois des fausses informations.
Au Japon, des artisans voient leurs ventes bondir grâce à la viralité d’un “hack fromage” imaginé par une IA. En Espagne, le manchego explose sur TikTok à l’aide de conseils anti-gaspi. En France, le clivage entre jeunes et traditionnels est dépassé : authenticité, éthique et transmission dépendent désormais de la crédibilité des contenus… et de l’intelligence des acteurs du secteur face aux codes numériques.
Réseaux sociaux et nouveaux enjeux de confiance
En 2023, le hashtag #Fromage cumule plus de 550 millions de vues sur TikTok ; #Chaource et #Roquefort atteignent des pics à chaque événement ou post viral d’influenceur. Too Good To Go revendique plus de 16 millions d’utilisateurs en France, l’application gagnant chaque semaine de nouveaux fans via le bouche-à-oreille digital. L’intelligence artificielle n’est pas en reste : plus de 120 000 vidéos TikTok France font intervenir des générateurs IA pour des visuels ou des recettes, oscillant entre innovation et pur marketing. Selon une étude TikTok/IPSOS, 60 % des jeunes actifs français déclarent avoir découvert un produit food inédit via la plateforme – un tiers d’entre eux citant des fromages régionaux en premier.
La modération devient elle aussi cruciale : TikTok a déjà supprimé plus de 80 000 contenus food jugés trompeurs en 2024, soulignant que le storytelling seul ne suffit plus.
La Commission européenne continue d’accentuer la pression sur TikTok pour garantir la transparence des contenus culinaires sponsorisés et protéger l’espace numérique de la publicité déguisée. De plus en plus de collectifs de producteurs, d’artisans ou de restaurateurs se forment à la prise de parole numérique pour ne pas laisser les algorithmes décider seuls de l’avenir du récit food français.