Alors que l’Assemblée nationale s’enflamme autour de la loi Duplomb, un autre débat décisif agite nos campagnes : qui protégera encore les vignerons, éleveurs et petits producteurs face à la disparition accélérée de la ruralité française, sacrifiée sur l’autel du productivisme mondial ? Entre législation imposée depuis Bruxelles et pressions de la mondialisation agro-industrielle, l’avenir du patrimoine agricole national — identité, diversité et souveraineté — est aujourd’hui en jeu comme jamais.
Alors que la loi Duplomb, définitivement adoptée le 8 juillet par le Parlement, fait l’objet d’une contestation inédite — plus de 1,9 million de citoyens ont déjà signé une pétition réclamant son abrogation —, c’est loin des couloirs parisiens que se joue la véritable bataille : dans la ruralité française, là où s’ancre notre mémoire collective. Conçue officiellement pour “lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur” et relancer la production nationale, cette législation suscite l’inquiétude croissante des petits producteurs, vignerons indépendants, éleveurs familiaux et artisans du terroir. Selon le recensement agricole, 27 fermes françaises disparaissent chaque jour, un chiffre révélateur d’une tendance lourde : la concentration des terres au profit de méga-exploitations, encouragée tant par la mondialisation que par l’empilement de normes européennes défavorables aux circuits courts et à la diversité locale.
Dans ce contexte, la loi Duplomb — portée par le sénateur LR Laurent Duplomb, adoubée par la FNSEA et le lobby agro-industriel — autorise, entre autres, la réintroduction de pesticides jusque-là interdits et facilite l’agrandissement des élevages industriels. Cette fuite en avant productiviste heurte les défenseurs de la ruralité, mais aussi de grands chefs cuisiniers, qui redoutent l’uniformisation du goût et l’effacement des savoir-faire français face à la logique du “toujours plus, toujours moins cher”. Derrière les discours officiels, une question demeure : veut-on sacrifier l’âme de nos campagnes — faite de diversité, de transmission, d’exception — sur l’autel de la compétitivité globale ? La parole revient aujourd’hui aux véritables gardiens de la souveraineté agricole : ceux qui, des vignobles à taille humaine aux exploitations familiales, incarnent l’enracinement national menacé par le rouleau compresseur de la mondialisation.
La France agricole traverse une mutation brutale, rarement évoquée avec la gravité qu’il faudrait dans les médias dominants. À l’ombre des débats techniques sur la loi Duplomb, ce sont des décennies de résilience rurale qui vacillent sous les coups conjoints de l’eurocratie bruxelloise et du productivisme mondialisé. Ce que l’on vend comme un “assouplissement des normes” ou un “soutien à la compétitivité” cache en vérité un affaiblissement systémique de notre tissu d’exploitations à taille humaine, en phase avec nos traditions.
Chiffres à l’appui, l’urgence saute aux yeux :
- 27 fermes ferment chaque jour en France selon le “recensement agricole décennal 2020” de l’Agreste (ministère de l’Agriculture).
- En dix ans, 101 000 exploitations ont disparu ; on recensait plus de 1,5 million de fermes en 1970, contre à peine 390 000 en 2020, et moins de 350 000 prévues en 2023 si la tendance s’accélère.
- Pendant que les petites exploitations sont rayées de la carte (-84% de fermes de moins de 20 hectares depuis 1970), le nombre de grandes entreprises agricoles continue de croître, porté par un modèle favorisé à la fois par la PAC et par des lois nationales acquises au lobby agro-industriel.
La taille moyenne des exploitations grimpe inexorablement (de 55 hectares en 2010 à 69 en 2020), avec désormais le quart des plus gros exploitants concentrant 68% de la surface agricole française. Cette concentration découle directement des orientations impulsées depuis Bruxelles, qui valorisent la productivité brute et la capacité à écouler des volumes compétitifs sur le marché européen, au prix de l’uniformisation.
Les petits producteurs, eux, subissent une double peine :
- La jungle des normes européennes, souvent conçues pour de gigantesques exploitations d’Europe du Nord, impose des contraintes et des frais administratifs disproportionnés à nos maraîchers, vignerons et éleveurs familiaux. Impossible pour eux de rivaliser sur les économies d’échelle ou d’absorber les surcoûts technologiques.
- La mondialisation alimentaire, couplée à l’ouverture des marchés imposée par Bruxelles, expose les producteurs locaux à une concurrence déloyale : des denrées étrangères, aux normes sanitaires souvent inférieures, mais à des tarifs imbattables.
La Confédération paysanne dénonce une loi « taillée sur mesure pour l’agro-industrie et portée par les dirigeants de la FNSEA, déconnectés de leur base ». Le chef étoilé Jacques Marcon déplore une loi « qui privilégie une agriculture intensive et néfaste pour les générations futures ». Près de 400 restaurateurs de tous horizons voient dans ce texte « une insulte aux agriculteurs qui se passent des pesticides tous les jours, une insulte à la santé de tous, mais aussi une insulte à notre métier ».
Entre l’étau réglementaire bruxellois et le libre-échange, la loi Duplomb parachève le triomphe du productivisme industriel, effaçant les marges de manœuvre locales et réduisant la ruralité à un simple maillon du grand marché mondial. Ce sont nos terroirs, la singularité de nos vins et fromages, et toute la diversité vivante des campagnes françaises qui sont menacés de disparition.
Dans ce contexte, les voix minoritaires — syndicats alternatifs, défenseurs du terroir, chefs — témoignent du refus de cette fatalité, rappelant que derrière le sort de nos petits producteurs, c’est la survie de notre souveraineté et de notre mémoire collective qui se joue.
Il serait illusoire d’observer le séisme agricole que constitue la loi Duplomb sans le replacer dans l’histoire longue de nos campagnes et dans le grand contexte de la mondialisation alimentaire. La France, héritière d’une civilisation rurale pluriséculaire, traverse une mutation anthropologique et économique d’une rare violence : en l’espace de 50 ans, nous sommes passés d’une agriculture fondée sur la polyculture familiale à un paysage dominé par la monoculture industrielle, la standardisation des goûts et la dilution des racines.
En 1970, près de 1,6 million d’exploitations animaient l’Hexagone. Elles ne sont plus que 390 000, et la chute continue, rythme dramatisé par l’accélération récente (27 fermes fermant tous les jours). Les moins de 20 hectares, piliers de la diversité agricole, ont diminué de 84%. En parallèle, la taille des exploitations monte en flèche et la concentration foncière vide nos villages de leur sens et de leur jeunesse.
Là où l’Allemagne ou les Pays-Bas ont depuis longtemps basculé vers l’agriculture industrielle pilotée par les “agribusiness”, seule la France abrite encore une telle diversité de circuits courts, de syndicats de vignerons indépendants, de fromagers AOP ou de marchés de village. Cette exception, jalousée et menacée, risque aujourd’hui la disparition si rien n’est fait pour réformer la logique d’ensemble des politiques agricoles et commerciales.
Longtemps perçue comme un rempart, la PAC est désormais vécue comme un piège mortel : rationalisation, baisse des crédits, règlementation “taille unique” inadaptée aux petites unités, encouragement à transmettre sa terre au plus offrant. Résultat : en guise de soutien à la diversité, c’est l’alignement sur le plus compétitif, le plus grand, le plus mondialisé.
Ceux qui luttent pour la survie des vignobles familiaux et des fromages de nos régions défendent bien plus qu’une activité économique : ils défendent l’idée même que la France reste une nation de terroirs, de goût, d’enracinement. Laisser faire la mécanique de la loi Duplomb, c’est signer le glas de l’exception française et préparer l’effacement de notre identité collective demain.
Entre 2010 et 2020, la France a perdu en moyenne 27 exploitations agricoles par jour. Entre 2020 et 2023, 40 000 fermes supplémentaires ont disparu (Agreste). Depuis 1970, les fermes de moins de 20 hectares ont fondu de 84 %. Les grandes fermes (+0,3 %/an) gagnent du terrain tandis que les micro-exploitations (-4 %/an) reculent. La moitié des agriculteurs partira à la retraite d’ici 2030 — rarement remplacés, les surfaces passent aux gros faiseurs ou à des groupes.
Le “poids mort” des normes européennes : pensés pour le gigantisme, règlements sanitaires ou environnementaux pénalisent les circuits courts et favorisent l’agro-industrie.
Seules 39 772 exploitations (2024) sont certifiées HVE. 60 000 exploitations environ s’engagent dans le bio — une minorité, le “modèle productiviste” couvrant 90 % de la grande culture. Près de 400 chefs, étoilés et restaurateurs, se mobilisent contre le texte Duplomb, craignant l’effondrement de la qualité alimentaire nationale — et donc du patrimoine gastronomique.
Depuis 1950, 70 % des haies bocagères ont disparu. Depuis 1990, nous avons perdu 36 % des oiseaux des milieux agricoles (INSEE). Les AMAP ou circuits courts, tout comme les labels AOP/IGP, tentent de restaurer du sens au métier — mais restent marginaux et sous pression “normative” constante.
Des vignerons dénoncent la pression sur les cahiers des charges AOP, poussés vers l’uniformisation par Bruxelles au nom de la concurrence “libre et non faussée”.
Le succès inédit de la pétition contre la loi Duplomb conduit à un débat sans vote à l’Assemblée. La mobilisation des acteurs indépendants de la ruralité sera déterminante pour infléchir l’application du texte.
Agreste publie régulièrement des indicateurs d’évolution. Prochain recensement décennal en 2030, mais les signaux d’alerte s’accumulent déjà.
Lancement de colloques et rencontres intersyndicales dès l’automne, pour organiser la défense du patrimoine rural — exemple : “Racines et avenir”, Reims, octobre. Statistiques INSEE sur la mutation foncière, témoignages de terrain, tribune des chefs parue dans Le Monde (24 juillet) participent à la mobilisation.
La rédaction poursuivra dans les prochains mois l’enquête sur le terrain, multipliant interviews et immersions chez les vignerons, artisans, éleveurs, pour donner chair à cette France rurale menacée, mais encore debout face à la dissolution programmée. Appel à témoignages : paysans, artisans de bouche, habitants ruraux, la parole vous est ouverte via Telegram et la newsletter “Regards sur la ruralité”.