Qui transforme la scène gastronomique lyonnaise à l’ère de la foodtech ? Au cœur de Lyon, nouvelle capitale urbaine du bien-manger, plateformes de livraison, coffee shops responsables et restos de street food repensent nos assiettes, nos habitudes et même la convivialité ou l’engagement militant. Deliveroo, récemment condamnée cet été pour travail dissimulé par la cour d’appel de Paris, secoue le statut des livreurs ; Uber Eats déploie de nouveaux outils alimentés à l’IA, comme les photos de plats améliorées ou les chats en direct avec les restaurateurs, bouleversant le rapport au restaurant. L’influence de TikTok Food, la résurgence de la cuisine locale, les initiatives anti-gaspi — comme Too Good To Go — accélèrent cette mue.
Ces innovations stimulent autant de questions que d’opportunités. Ensemble, elles redéfinissent la frontière entre authenticité et image filtrée par l’IA, entre instant gourmand partagé et commande via écran, entre respect des traditions et nouvelles attentes de transparence, d’éthique et d’expérience augmentée. Lyon se pose comme terrain d’expérimentation et d’hybridation où héritage culinaire, start-up nation et exigence de responsabilité sociale se rencontrent.
Lyon, laboratoire d’innovations food et ville de tradition, traverse en 2024 des turbulences et avancées majeures pour les consommateurs urbains comme pour l’écosystème local. Deliveroo est condamnée pour travail dissimulé : neuf livreurs obtiennent plus de 100 000 € en salaires impayés, dont un, licencié pour raison de santé, doit être réintégré — une première. « La Cour a montré des preuves de subordination dans chaque dossier », résume l’avocat Kevin Mention. Ce tournant met en cause le modèle « indépendant » imposé aux milliers de livreurs, étudiants ou jeunes actifs, qui incarnent la logistique de la foodtech à Lyon.
En France, près de 30 000 livreurs travaillent sur les grandes plateformes, particulièrement dans les métropoles étudiantes et jeunes comme Lyon ; le marché de la livraison dépasse le milliard d’euros annuel, avec des pics surtout après 20 h auprès des 18-35 ans.
Deliveroo, bientôt rachetée par DoorDash, assure que « notre modèle opérationnel a profondément changé », mais de plus en plus de consommateurs lyonnais s’inquiètent de l’éthique des plateformes et du sort de ces « nouveaux invisibles ».
Face à ces interrogations, Uber Eats accélère sur l’IA et le contenu food pour séduire une audience connectée et visuelle. Les utilisateurs des États-Unis, Royaume-Uni, Canada ou Mexique sont récompensés pour l’upload de leurs photos de plats, bénéficient de descriptions automatiques de menus, de retouche IA pour sublimer les visuels et d’un Live Order Chat pour personnaliser leur commande. L’expérience client se veut à la fois plus immersive et rapide, mais aussi plus conditionnée par les standards numériques et visuels d’Instagram. Les restaurateurs lyonnais doivent ainsi revoir leur stratégie, adopter les nouveaux codes, s’équiper en storytelling digital et surveiller leur réputation sur les applications.
À Lyon, l’expérience culinaire urbaine devient plus interactive, mais aussi plus subjective : la frontière entre l’authenticité d’un plat et la mise en scène d’une image générée par IA se brouille. Les coffee shops locaux s’adaptent, peinent parfois à suivre si leur offre n’est pas « instagrammable » ou peu proactive. Même la convivialité se réinvente, entre partage sur les réseaux sociaux et quête d’une expérience plus responsable, notamment grâce à Too Good To Go, qui a sauvé plus de 120 000 repas à Lyon en 2023.
Cette transformation s’inscrit dans un contexte plus large. Lyon chérit son héritage gastronomique, ses bouchons, les Halles Paul Bocuse et une culture de la convivialité, tout en catalysant la frénésie créative de la street-food veggie, des coffee shops d’inspiration scandinave, des lieux hybrides inspirés par TikTok et Instagram. 37 % des moins de 35 ans en France commandent une fois par semaine sur des plateformes foodtech, une proportion encore plus élevée à Lyon, vivier d’étudiants et jeunes actifs. Les codes changent : un restaurant n’est plus jugé uniquement sur ses plats mais aussi sur son potentiel à être photographié, partagé, recommandé en ligne.
Ce n’est pas seulement un phénomène lyonnais. La foodtech pèse plus de 7 milliards d’euros en France, le marché de la livraison a quadruplé depuis 2018, et partout en Europe les questions sociales sur le statut des livreurs traversent l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni. À Lyon, ce jeu d’équilibriste entre innovation digitale, responsabilité sociale et fidélité à l’âme gourmande s’incarne dans la diversité de l’offre, la créativité de ses acteurs et l’implication croissante de la communauté locale sur les réseaux.
Quelques repères : Lyon compte plus de 500 coffee shops et adresses de street food (+ 23 % en 5 ans), 38 % des jeunes actifs lyonnais commandent chaque semaine sur Deliveroo ou Uber Eats. Les photos uploadées sur Uber Eats sont désormais modérées et publiées en fonction de leur potentiel attractif, parfois retouchées par IA. Les gourmandises locales cartonnent sur TikTok (#LyonStreetFood) ou Instagram (#LyonFood), où plus de 8 millions de photos food ont été publiées. Les balades gourmandes à la lyonnaise, la vague anti-gaspi et les box-recettes DIY connaissent un succès inédit, reflet d’un appétit autant pour l’innovation que pour le partage ou la redécouverte locale.
Dans cette gastronomie fluidifiée, le plaisir de la table, la dimension humaine et la transparence restent essentiels dans une expérience transformée par la technologie. À Lyon, le goût du futur se savoure autant via smartphone que dans les ruelles ou sur les grandes tablées. Entre pressions sociales, innovations IA, attentes d’écoresponsabilité et nouvelles formes de convivialité, la cité des Gones montre la voie d’une foodtech aussi inventive que vigilante, où chacun, du chef au livreur en passant par les foodies, contribue à réinventer la culture du “bien-manger”.