Dans la nuit du 4 mai 2025, alors que le voilier humanitaire Madleen naviguait en Méditerranée en direction de Gaza, transportant à son bord l’écologiste Greta Thunberg et l’eurodéputée française Rima Hassan, le navire a été survolé à plusieurs reprises par des drones de surveillance. Initialement suspectés d’être israéliens, ces engins se sont finalement révélés grecs, mais l’incertitude autour de leur provenance et de leurs intentions a suscité la vigilance et la méfiance parmi l’équipage et les militants. Cet épisode met en lumière l’usage massif de technologies high-tech – drones, systèmes d’écoute, dispositifs de géolocalisation – pour surveiller, cartographier, voire entraver les initiatives humanitaires ou militantes dans des zones sous tension géopolitique.
Les faits s’inscrivent dans un contexte de tensions croissantes autour de l’acheminement d’aide à Gaza, où chaque mission se transforme en une véritable bataille de l’information et du renseignement. ONG et collectifs de soutien misent sur des outils numériques, du chiffrement des communications à la navigation cachée, quand leurs adversaires exploitent capteurs intelligents et IA pour déceler, pister ou décourager ces tentatives. Derrière cet affrontement moderne se posent des questions cruciales de sécurité, de respect de la vie privée, de droits numériques et de responsabilités.
Cet incident incarne la « nouvelle donne » de la tech dans les champs de bataille humanitaires : chaque action visible, chaque déplacement, devient un événement traqué et analysé, exposant ONG et militants à des risques inédits — du piratage à la manipulation narrative, en passant par le ciblage physique. Désormais, embarquer vers une zone sensible n’est plus seulement une affaire de courage politique ou de logistique maritime, mais aussi de cyber-résilience, de contre-surveillance et d’expertise IT de terrain.
Une surveillance de plus en plus sophistiquée
Le survol du Madleen a suscité des réactions immédiates d’ONG, de médias et d’officiels. Pendant plusieurs minutes, l’origine des drones – d’abord suspectée israélienne, puis officiellement grecque – est restée incertaine, illustrant la complexité d’un théâtre méditerranéen où s’entremêlent intérêts militaires, enjeux humanitaires et nouvelles formes de surveillance techno-industrielle.
Chiffres clés :
- En 2024, Frontex, les garde-côtes européens et au moins 7 États membres ont déployé plus de 450 dispositifs autonomes (drones d’observation, capteurs longue portée, systèmes VMS, etc.) pour la surveillance des flux migratoires et maritimes (rapport ENISA 2024).
- Selon l’ONG Sea-Watch, sur la seule route Italie–Gaza, plus de 60 incidents de survol ou d’approche de drones non identifiés sur des navires civils humanitaires ont eu lieu depuis janvier 2024.
- Plus de 60% des ONG maritimes affirment avoir constaté au moins une tentative d’intrusion dans leurs systèmes de communication ou un brouillage ciblé sur leurs liaisons satellite au cours des 18 derniers mois.
« Nos équipes ont cru à une tentative d’intimidation ou d’espionnage. Nous avons dû activer notre protocole de communication chiffrée et vérifier dans l’urgence toute trace d’intrusion logicielle sur nos équipements. »
« Le recours à la surveillance aérienne ou satellitaire, y compris les drones, doit strictement respecter le droit international et ne saurait entraver une mission humanitaire légitime. »
Le gouvernement grec a justifié le survol du Madleen par « nécessité de vérification du statut du navire », mais certains observateurs dénoncent la banalisation de dispositifs à double usage (civils/militaires) pour une surveillance politique des ONG et activistes, loin du cadre sécuritaire anti-piraterie. Plusieurs eurodéputés, dont Rima Hassan, réclament plus de transparence sur les interventions de drones dans la zone méditerranéenne, pointant l’opacité des chaînes de commandement et l’absence de recours juridiques pour les ONG.
Face à ces incidents, de nombreuses ONG internationales ont renforcé en urgence leur cybersécurité embarquée, avec audits, outils open source (VPN, surveillance active des fréquences, détection de signaux RF anormaux) et formation des équipages. L’effet de « chilling » est palpable : stress, auto-censure sur les réseaux de bord et réticence croissante à documenter certaines opérations de peur d’être localisé en temps réel. La polémique relance aussi le débat européen sur l’encadrement des technologies duales et la collecte de données en zone grise, avec une audition parlementaire sur « Drones et droits fondamentaux en Méditerranée » programmée.
La haute technologie, nouvelle frontière des luttes humanitaires
L’utilisation de technologies de surveillance et d’intervention dans les zones sensibles s’est accélérée avec la miniaturisation des drones et la généralisation de la connectivité satellitaire. Jadis réservées aux armées et agences de renseignement, ces technologies – drones, systèmes d’écoute, dispositifs de brouillage, caméras thermiques, géolocalisation – sont désormais accessibles aux polices, gardes-côtes, et parfois à des acteurs privés mandatés.
Déjà, lors de la crise migratoire de 2015-2016 en Méditerranée, les ONG faisaient face à la surveillance par drones et avions de reconnaissance, parfois détournée pour entraver ou surveiller à charge les missions de sauvetage. Depuis, le matériel a évolué : micro-drones furtifs de nuit, IA pour l’analyse automatique d’images, interceptions de communications mobiles et satellite sont maintenant utilisés, parfois fournis par des firmes européennes ou israéliennes.
Le marché des drones de surveillance devrait atteindre 60 milliards de dollars en 2026, dont une part croissante pour la surveillance maritime et la sécurité aux frontières. Parallèlement, les budgets de cybersécurité dans les ONG grimpent : jusqu’à 12% de certains projets internationaux selon NetHope.
La multiplication d’incidents – comme Pegasus ou la surveillance par drones de missions de Sea-Watch ou SOS Méditerranée – pose la question de la militarisation de la sphère civile et humanitaire. Au-delà du terrain israélo-palestinien, des épisodes similaires se retrouvent devant les côtes grecques ou dans la vallée du Rio Grande. La frontière entre surveillance d’État et entrave technique à l’action humanitaire devient de plus en plus poreuse.
La riposte s’organise : développement d’outils open source pour détecter les drones, sécuriser les messageries, ou alerter l’équipage en cas de signaux RF inhabituels. La lutte pour la liberté d’agir ou de témoigner dans ces zones prend la forme d’un bras de fer technologique.
Détails et constats sur le terrain
- Prolifération des drones civils : Selon DroneSec, plus de 6 000 mouvements de drones non-militaires et commerciaux ont été enregistrés en 2024 dans des zones de crise méditerranéennes (ONG, journalistes, sociétés privées de sécurité).
- Les navires humanitaires embarquent désormais des analystes SIG/MAR pour cartographier en direct les balises suspectes et signaux RF.
- Cybersécurité embarquée : Nombre d’ONG utilisent Signal ou Session pour les communications, mais les connexions satellite restent vulnérables à l’interception passive. Les infrastructures Docker et OpenVPN sont régulièrement auditées par des hackers éthiques.
- Initiatives makers/civic tech : Des hackerspaces comme Mediterraneo Hacker Boat développent des scripts open source de détection d’émissions radio caractéristiques de drones, avec notifications automatiques à l’équipage. L’université de Barcelone et l’ONG Watch The Med élaborent des modèles de machine learning pour distinguer signatures acoustiques de drones et bruits ambiants.
- Scénario réel : Selon SecureNGO, au moins 11 missions humanitaires ont fait l’objet de surveillance aérienne non identifiée en Méditerranée en 2024, contraignant parfois à des changements de route d’urgence pour échapper à l’interception.
Vers une nouvelle ère de l’action humanitaire
Le cas du bateau humanitaire de Greta Thunberg et Rima Hassan illustre une escalade technologique entre activisme, ONG et États, mais ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. La veille et le partage de solutions de cybersécurité embarquée deviennent essentiels. Plusieurs ONG publient des ressources open source, des guides de bonnes pratiques et sollicitent la communauté tech solidaire pour protéger leurs missions (GitHub, forums spécialisés, workshops). Un « guide sécurité IT pour missions en zones grises » par Amnesty Tech est annoncé, tout comme de possibles évolutions de la législation européenne sur drones à double usage.
La collaboration avec la civic tech et les makers s’intensifie : prototypage open source de contre-mesures, canaux de veille sécurité spécialisés, rencontres (European Pirate Summit, RightsCon) et plateformes collaboratives comme OpenGrip recrutent activement des expert·es cyberprotection pour les missions civiles.
La transformation des conflits et des missions solidaires par la high-tech est désormais un enjeu central. Sécuriser la confidentialité, la sécurité et la continuité de l’action humanitaire en temps de surveillance connectée généralisée sera l’un des grands défis de la décennie à venir.