Plates-formes de livraison, box culinaires et applis anti-gaspi : dans quelle mesure l’IA et la foodtech réinventent-elles notre façon de manger en ville ? Des innovations des grandes applis aux initiatives éthiques locales, la technologie façonne l’expérience culinaire des millennials urbains, entre praticité, quête de sens et plaisir authentique.
Street-food, box culinaires et plats à la demande : pour toute une génération de jeunes urbains, la livraison de repas et la cuisine à domicile se vivent désormais entre applis mobiles, quête d’authenticité et dernières innovations technologiques. À Paris comme à Lyon, à l’heure des “samedi pluvieux/canapé”, des débordements d’agenda ou juste des envies d’explorer la food d’ailleurs, des plateformes comme Deliveroo, Uber Eats et Too Good To Go s’imposent… mais elles changent aussi radicalement de visage.
Depuis 2024, la foodtech connaît un tournant : l’intelligence artificielle investit les plateformes — génération de photos alléchantes de plats, recommandations personnalisées, chat en temps réel, paiement pour le partage de photos par les clients. Des outils testés à grande échelle lors de VivaTech, plus grand rendez-vous européen des startups, où les enjeux de digitalisation, d’inclusivité et de bien-être étaient partout discutés.
Rapidité, éthique (gammes vegan, options locales, circuits courts), anti-gaspi, mais aussi désir de personnalisation et de reconnexion à la cuisine “faite maison” sont recherchés — entre box DIY et recettes élaborées avec les nouveaux équipements connectés. Derrière le miroir de ces applis et IA ludiques, des questions sensibles restent posées : goutte de “fake food” dans le contenu livré, brouillage de la frontière entre travail salarié et indépendant chez les livreurs, place du “vrai” dans une expérience de plus en plus digitalisée.
En l’espace de quelques années, la foodtech s’est imposée comme un pilier du quotidien urbain : en 2023, le marché de la livraison de repas en France a dépassé les 5,4 milliards d’euros, porté par des plateformes comme Uber Eats, Deliveroo ou encore le boom des apps anti-gaspi type Too Good To Go (plus de 13 millions d’utilisateurs dans l’Hexagone). Selon une étude France Digitale/IFOP, 73% des 18-34 ans utilisent au moins une appli de livraison ou anti-gaspillage chaque mois, que ce soit pour un ramen express à minuit, sauver des éclairs invendus ou tester un resto veggie du quartier.
Les géants de la livraison jouent la carte de l’innovation, mais aussi celle de la justification : l’arrivée massive de l’IA dans leurs outils n’est pas anodine. « Le modèle opérationnel de Deliveroo a profondément changé et a été reconnu par les pouvoirs publics comme reposant sur une collaboration avec de véritables prestataires indépendants », défend la plateforme après plusieurs condamnations en justice pour travail dissimulé, dont une récemment où la cour d’appel de Paris a ordonné la réintégration d’un livreur licencié et des arriérés de plus de 93 000 €. Ce type d’affaire rappelle que la révolution foodtech n’est pas seulement techno : elle soulève des enjeux sociaux majeurs, du statut des livreurs aux droits des travailleurs.
Dans un contexte d’hyper-concurrence, l’IA générative est déjà une arme-clé : Uber Eats a annoncé des fonctionnalités qui révolutionnent l’expérience client — génération automatique de visuels de plats, amélioration des photos utilisateurs, ou encore résumé IA de commentaires. Aux États-Unis, Royaume-Uni ou Canada, certains clients peuvent même gagner quelques euros en crédits pour chaque photo de plat publiée sur l’app. Selon Uber, ces outils permettent de mieux informer, de personnaliser l’expérience et d’encourager des choix alimentaires plus responsables, mais leur fiabilité reste à prouver, surtout concernant l’authenticité des contenus et la prévention des fake reviews.
Du côté innovation/startups, VivaTech 2025 a donné le ton : l’IA et les technologies immersives sont partout — d’Ocean Eyes, solution japonaise qui optimise la pêche durable par data science, à Trusting Pixels, qui détecte les images culinaires falsifiées pour lutter contre la désinformation food. Même les chefs étoilés, à l’instar de Thierry Marx, insistent : « La tradition est un repère, mais elle resterait figée sans innovation… L’innovation, c’est accepter l’échec et oser bousculer les codes ».
Pour les millennials urbains, cette accélération de la foodtech dessine un paysage aussi stimulant qu’ambivalent : 90% plébiscitent la rapidité et la praticité, mais près d’un sur deux se dit inquiet d’une alimentation trop transformée ou impersonnelle. Les applications cherchent donc à rassurer en valorisant la transparence, le bio, le local, ou les filières responsables — comme ces boucheries halal qui revisitent la charcuterie terroir pour une nouvelle génération attentive à l’éthique et aux mixités culturelles.
L’innovation dans la livraison et l’expérience culinaire n’a jamais été aussi foisonnante, portée par la vague foodtech et l’irruption massive de l’intelligence artificielle. Historiquement, la livraison de repas a longtemps rimé avec pizza et menus de restaurant “classiques”, via téléphone ou flyer dans la boîte aux lettres. Mais dès les années 2010, la digitalisation bouleverse le secteur : apparition des plateformes (Deliveroo, Uber Eats, Just Eat…), généralisation des apps tout-en-un, géolocalisation temps réel, algorithmes de recommandation — la ville devient un gigantesque food court accessible en quelques clics.
Cette transformation est mondiale : le marché global de la livraison à domicile de repas pesait déjà près de 300 milliards de dollars en 2022, selon Statista, et continue de grimper (+8% par an en moyenne). En France, le volume s’est envolé de 47% entre 2019 et 2023, impulsé par le boom urbain, le rythme de vie accéléré des millennials et la crise sanitaire qui a durablement ancré ces usages. Les consommateurs de 18-34 ans restent les plus gros utilisateurs, appréciant la flexibilité, l’offre cosmopolite (street-food, cuisines du monde…) et la promesse d’un “restaurant à la maison”.
Cette généralisation de la foodtech s’accompagne d’attentes sociales nouvelles : sécurité alimentaire (traçabilité, allergies), responsabilité environnementale (anti-gaspi, local, vegan, labels bio…), ou encore inclusion (charcuterie halal, adaptabilité culturelle). Comparativement, si les USA dominent la course technologique (DoorDash, Uber Eats), l’Europe affiche un ancrage plus “green” (Too Good To Go née à Copenhague, focus sur le local en Allemagne ou France), tandis que l’Asie invente la street-food digitalisée à grande échelle (Meituan, Grab).
Les innovations en IA viennent tout bousculer : génération automatique de visuels appétissants, analyse de données nutritionnelles, personnalisation des suggestions, bots de chat pour gérer les commandes ou l’après-vente, applications prédictives pour optimiser la logistique ou éviter le gaspillage. Les frontières s’estompent entre restaurants, dark kitchens, food creators digitaux et start-ups du bien-manger. Cependant, des enjeux émergent sur l’authenticité et l’éthique : scandales sur les conditions de travail des livreurs, débats sur la dépendance à la data et à la gamification, interrogation sur la place réelle du “fait maison” face à la déferlante d’intermédiations techniques.
Près de 62% des urbains de moins de 35 ans déclarent avoir commandé un repas via une plateforme de livraison au moins une fois par semaine, un chiffre qui grimpe à 78% dans les grandes métropoles comme Lyon ou Paris (Food Service Vision, 2023). Sur les menus digitaux, la mention “vegan” ou “éco-responsable” augmente de 35% le taux de clic (Deliveroo Insights, 2024). Côté IA, le taux de conversion sur Uber Eats serait boosté de 19% lorsque les plats sont présentés avec des photos “générées ou améliorées”. Sur Too Good To Go, 40% des paniers sauvés en 2024 provenaient de boulangeries et coffee shops indépendants, ce qui dynamise l’économie locale tout en luttant contre le gaspillage.
Les dernières IA intégrées aux apps foodtech (ex : Trusting Pixels, Ocean Eyes) commencent à analyser non seulement les images de plats pour détecter les manipulations, mais aussi, en version bêta, à estimer leur valeur nutritionnelle à partir d’une simple photo. Le secteur des box culinaires personnalisées devrait franchir le cap des 250 millions d’euros de chiffre d’affaires en France en 2025, porté par la co-création — possibilité de choisir thèmes, allergies, types de cuisine.
Certaines boucheries halal artisanales à Lyon ou Roubaix enregistrent jusqu’à +30% de ventes lors des pics festifs type Ramadan ou Aïd, preuve que la réinvention des classiques du terroir a trouvé un vrai public, au-delà de la seule clientèle musulmane. Au VivaTech, une start-up japonaise propose, grâce à l’IA, de prédire pour chaque restaurant le taux de gaspillage à 24h, permettant d’ajuster les commandes en temps réel et d’optimiser l’offre.
En 2022, plus de 27 000 photos de plats ont été partagées par des utilisateurs français sur Uber Eats, contribuant à la base de données visuelle de l’app et, pour certains, à une rémunération en crédits. Par ailleurs, le Centre français d’innovation culinaire collabore désormais avec plusieurs écoles de cuisine pour initier les futurs chefs aux usages de la data et de la technologie dans leurs créations.
À suivre : le débat sur le modèle social des plateformes accentué par les récentes condamnations pour travail dissimulé, la multiplication des innovations à VivaTech, l’essor de la “cuisine augmentée” et de la food expérientielle (tables éphémères, ateliers live), et la montée en puissance des outils d’IA qui interrogent sur la fiabilité des images et le respect de la vie privée.
La foodtech hybride désormais plaisir, innovation, rapidité et nouvelles responsabilités dans la manière de consommer, tout en révélant des paradoxes à explorer pour une génération urbaine à la fois curieuse, exigeante et consciente.