Alors que la planète collectionne les tragédies (guerres, censure, fake news, procès dignes d’un mauvais roman noir scandinave…), l’humour résiste-t-il encore dans la sphère publique ? Entre punchlines politiques millimétrées, autodérision de chef d’État en treillis et blagues traquées par la police du sérieux sur les réseaux, le rire demeure — ou meurt — dans le grand théâtre de l’actualité.
À l’heure où crises et censures font la grimace à chaque punchline, l’humour peut-il encore survivre comme dernier refuge du bonheur – pardon, de la « hapiness » – collectif ? Des salons de De Gaulle aux stand-ups de Zelensky, ceux qui manient la blague restent en résistance face à la morosité mondiale.
En 2025, la planète tourne en mode mauvaise comédie dramatique : des conflits qui s’éternisent à l’est, des procès kafkaïens qui tombent à l’ouest, du « happiness » en liquidation judiciaire sur toutes les timelines. L’humour, lui, tente de surnager entre algorithmes susceptibles et censeurs surpuissants. Même les politiques n’ont plus le droit de sortir un bon mot sans risquer l’indignation immédiate – sauf peut-être un certain ex-humoriste ukrainien qui transforme chaque conférence de presse en stand-up de résistance. En France, de la salle des pas perdus de l’Assemblée aux forums Twitter, les punchlines font trembler tout le monde, du sénateur tempétueux au joggeur du dimanche, tandis qu’humoristes et citoyens essaient d’esquiver la case “cancel” à la première vanne de travers.
Hier, le mot d’esprit était la botte secrète de Clémenceau, De Gaulle ou Churchill – aujourd’hui, la moindre saillie se prend une volée de signalements ou notifications juridiques. De Paris à Kiev, le rire se vit sur le fil, seul rempart face à une époque qui tape plus vite qu’elle ne trolle. Dans ce climat d’happy-fear généralisée, peut-on encore rire de tout ? L’humour est-il la dernière “arme fatale” pour préserver un brin de bonheur mal orthographié – hapiness, version douille – ou juste un extincteur à fake news déjà vide ? Enquête (presque) sérieuse sur un sujet qui fait toujours trembler le bouton “J’aime”… et aussi, un peu, la survie collective.
2025, ambiance : l’humour comme sport de combat
2025, ambiance : on jongle entre crises géopolitiques, inflation qui fait rire (les banquiers), et le dernier Netflix « Feel Good » a déclenché un burn-out collectif. L’humour n’est plus ce qu’il était ? Pas sûr… mais il est devenu un sport de combat.
En France : trois punchlines politiques par an, deux tranchées Twitter pour chaque vanne, et un ministre cité pour « atteinte au moral public » toutes les 200 tribunes (source : Syndicat national des Statistiques Improbables). En Ukraine, Volodymyr Zelensky, président-stand-upper, manie la vanne comme d’autres la cravate, alignant sorties ironiques en pleine guerre – record mondial du rire sous pression. Sur les réseaux sociaux, +27 % de signalements pour « blague limite » en 2024. Taux de démonétisation YouTube d’une séquence humoristique contenant « clown », « dopamine » ou « Macron » : 42 %.
Quelques chiffres :
- 250 détenus d’opinion recensés en Algérie pour “crimes de mots” début 2025, à la frontière entre pamphlet et prison (source : Article 3).
- 40 secondes en moyenne avant qu’un bon mot politique soit repris puis détourné sur X/Twitter.
- 1,3 million de vues pour le discours « Néron, Musk et la kétamine » du sénateur Malhuret en mars 2025, repris par CNN avant même les late-shows américains.
Paroles d’acteurs et d’humoristes
Claude Malhuret, sénateur roi de la punchline, observe : « Si aujourd’hui vous voulez faire passer des idées, vous avez deux nécessités : la punchline, et l’humour. Il faut une étincelle pour retenir l’attention. » Pour Aurélie Julia, directrice de la Revue des Deux Mondes, « Aujourd’hui, on ne rit pas assez. Le tragique nous cerne. Mais la vie aussi nous attend. Il faut être dans l’autodérision. L’humour : signe d’intelligence. » Zelensky, président en survêt’ et roi du stand-up ukrainien, reste fidèle à son arme favorite : « Vous ne prenez quand même pas Poutine au sérieux ? », questionne-t-il, même en pleine guerre.
Côté politique, l’humour doit désormais passer la double validation du Conseil constitutionnel et de la brigade de correction woke sur les réseaux. Résultat : beaucoup plus d’humour… en réunion privée. Sur le plan diplomatique, un bon mot mal traduit peut déclencher un incident ou, au mieux, une interview à la BBC. Dans la vie courante, les humoristes deviennent des acrobates de la censure, jonglant entre bide programmé et autodérision préventive.
Jamais le rire n’a été aussi risqué, aussi stratégique – et aussi vital pour ce qu’il reste de notre “hapiness” collectif (même dysorthographié). L’humour court plus vite que la morosité : surtout quand le sérieux menace de rattraper tout le monde.
Humour et tragique : une vieille histoire
Avant l’ère des memes filtrés par le RGPD, l’humour vivait déjà en colocation avec le tragique. Dans l’Europe feutrée des années 1930, le cabaret était l’abri atomique de l’esprit, tandis que la télé soviétique subventionnait l’ironie sur le pain rassis, pas sur le parti. La punchline a toujours été l’arme blanche des dominés (bouffons, fous du roi, stand-uppeurs) autant que le masque chic des dominants, façon Churchill ou De Gaulle. Au XXe siècle, Coluche, Desproges ou Chaplin jouaient de la frontière entre le tabou et le salutaire. Aujourd’hui, en Ukraine, un ex-comique s’improvise commandant Ironie au front. À l’inverse, en Algérie, la satire peut vous valoir procès, détention ou trending topic judiciaire.
L’humour souffre partout d’une crise d’autorité : la censure (légale ou “morale”), les algorithmes allergiques à la subtilité et le serious washing menacent la liberté de la blague. Selon Reporters Sans Frontières, près de 250 personnes sont actuellement détenues en Algérie pour avoir « exercé leur liberté d’expression ». En Europe, 67 % des internautes jugent que « l’humour n’a plus le même impact » dans l’espace public qu’il y a 20 ans (IFOP 2024). Les politiques, eux, se méfient : la punchline sénatoriale sur « le bouffon sous kétamine » a fait le tour du monde mais demeure l’exception dans un océan d’autocensure.
Si les États-Unis cultivent encore le “roast” politique, depuis Trump, même le SNL hésite à charger la vanne de peur d’enflammer l’Amérique sur Twitter ; en Europe de l’Est, l’humour fut le dernier bastion de dissidence face aux régimes autoritaires. En France, la tradition du “second degré” coexiste avec la peur panique du signalement post-blague.
Dans un monde où “happiness” se fait rare, la capacité à rire, grincer, détourner le tragique par la vanne demeure un indicateur vital de santé démocratique – et l’un des derniers actes libres.
Quelques statistiques du sourire en berne
- Selon une étude de 2023, seuls 14% des Français estiment que « les politiques ont de l’humour » – c’est moins que la confiance accordée aux métros pour arriver à l’heure un lundi.
- En Ukraine, 32% des sondés disent que l’ironie de Zelensky « leur remonte le moral au moins une fois par semaine ».
- Sur les plateformes, en 2024, 21% des vidéos satiriques sont signalées pour “offense”… et 0,5% le sont « par erreur technique de modération », souvent pour une blague sur Macron ou la météo. L’algorithme, lui, n’a jamais ri de sa vie.
- La punchline est devenue une arme d’influence et de viralité politique : doublement des recherches Google pour « citations drôles de sénateurs » après le discours Malhuret sur Trump. Mais attention : la punchline, c’est comme la moutarde : à trop en mettre, ça pique les nez devenus hypersensibles.
- Zelensky a remporté « Danse avec les stars Ukraine » en 2006 et s’est payé le luxe de produire plus de 20 heures de sketches où il égratigne les dirigeants. En France, on peine à trouver 20 minutes d’ironie non censurée sur certains plateaux télé sans déclencher une crise de nerfs éditoriale.
- Le mot « bouffon », de Clémenceau à Malhuret, s’invite dans 11% des débats parlementaires français retranscrits en 2024, juste derrière « démagogue » et loin devant l’insulte suprême : « influvoleur d’opinion ».
- Depuis 2021, près de 250 « détenus d’opinion » sont recensés en Algérie, nombre d’entre eux pour un simple post satirique ou pamphlet grinçant. À titre de comparaison : c’est l’effectif total de la troupe du Splendid… multiplié par quinze (sans les costumes).
- En 2023, 15% des humoristes pros français dépendent de leurs podcasts ou vidéos Patreon pour payer leur café. Le bonheur de faire rire : précieux, donc potentiellement monétisable, sauf si l’algorithme détecte une “expression faciale ambiguë”.
- À Copenhague, 68% des sondés jugent “inoffensif” le fait de donner son ex-cochon d’Inde au zoo pour nourrir un fauve. En France, 99% préfèrent une blague noire à un dîner à suspense. Conclusion : l’Europe s’accorde sur la nécessité de ne rien gaspiller… pas même une bonne vanne.
Pour les curieux
- Florilège de bons mots historiques dans la « Revue des Deux Mondes » de l’été.
- Vidéo de Claude Malhuret devenue virale, à binge-watcher pour réviser vos punchlines d’indignation.
- Débats sur le rapport ONU concernant la censure et la liberté d’expression.
- Montage de répliques cultes de Zelensky, de la scène soviétique à la tribune de l’ONU – preuve que la vanne résiste à tout, sauf à la mode des cravates moches.
À suivre :
- Peut-on exporter l’humour sur Mars, ou est-ce déjà réservé aux robots dépressifs ?
- Faut-il créer un code couleur pour signaler « l’humour en danger » dans chaque pays (alerte orange en France, rouge écarlate sur Twitter) ?
- Prochaine chronique : auto-interview décalée avec ce vieux sage fictif, Pierre Desproges, invité d’honneur depuis l’au-delà.
Sélection de newsletters satiriques à suivre, de podcasts d’humour engagés et, pour les nerds du bonheur, la dernière étude sérieuse (en anglais, pour les allergiques à LV2) sur les bienfaits physiologiques du LOL dans la gestion du stress mondial. Conseil lecture pour insomniaques : Beckett, en version manga. (Si, si, ça existe. Presque.)