À l’heure où la souveraineté numérique s’impose comme une exigence pour les entreprises françaises et européennes, le paysage du cloud et de l’IA connaît une profonde mutation. Face à la domination persistante des géants américains (Amazon, Microsoft, Google, 80 % du marché européen selon les chiffres récents) – et dans le contexte d’un durcissement des exigences RGPD et de gestion des risques extraterritoriaux –, les acteurs cloud français comme OVHcloud et Scaleway multiplient annonces, investissements et certifications (SecNumCloud, nouveaux data centers en Europe) pour offrir des alternatives crédibles, robustes et sécurisées. Les DSI, responsables DevOps et architectes Cloud sont plus que jamais confrontés au dilemme : comment automatiser leurs déploiements (IaC, GitOps), maîtriser leurs budgets cloud (FinOps), garantir la conformité et la sécurité des données… tout en anticipant l’essor massif de l’IA et des workloads compute-intensive ?
L’enjeu ne se limite plus aux groupes du CAC40 : de la migration de pipelines CI/CD Kubernetes dans le cloud d’entreprise jusqu’au homelab domotique auto-hébergé, la question centrale devient : comment bâtir des architectures souveraines, performantes, automatisées et économiquement viables—tant pour les applications métier critiques que pour la smart home familiale ? De nouveaux standards émergent, portés par l’écosystème open source européen et les retours d’expérience d’architectes DevOps déjà engagés sur la voie de la maîtrise et de la résilience numérique.
Un marché européen largement dominé par les géants américains
Le marché cloud européen reste largement déséquilibré : 80 % du marché du cloud public est encore capté par Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud. Cette domination influence les choix technologiques, la localisation des données critiques et la capacité des DSI à répondre aux enjeux RGPD et souveraineté. Pourtant, un basculement s’opère. « Arrêtez d’utiliser ChatGPT, essayez Mistral. Arrêtez d’aller chercher des modèles américains. Utilisez des modèles open source sur du cloud français », encourage Aude Durand, directrice générale déléguée d’Iliad/Scaleway.
Les champions du cloud souverain accélèrent
Les champions du cloud souverain accélèrent leur développement. OVHcloud compte 43 data centers mondiaux—plus de la moitié en Europe—et a investi un milliard d’euros depuis 2021. Il a obtenu le label SecNumCloud pour son cloud public, essentiel pour les projets RGPD et les workloads sensibles. Scaleway s’appuie sur quinze data centers européens, le plus grand parc de GPU NVIDIA en Europe dédié à l’IA, et 2,5 milliards d’euros d’investissements annoncés. Sa plateforme cloud exploite exclusivement des briques open source opérées en Europe.
Sur le plan financier, l’enjeu FinOps s’intensifie alors même qu’Amazon double ses dépenses d’infrastructure liées au cloud et à l’IA, avec 32,2 milliards de dollars au dernier trimestre et jusqu’à 100 milliards prévus sur l’année. Ceci impacte les budgets des clients et la stratégie multi-cloud des entreprises européennes.
Compliances, risques et migration technique
Pour les DSI et équipes DevOps, la compliance RGPD et la gestion des risques d’extraterritorialité US deviennent prioritaires. Benjamin Revcolevschi (OVHcloud) observe : « Les clients choisissent aujourd’hui nos infrastructures afin d’héberger leurs applications sensibles […]. Les dirigeants cherchent à comprendre comment ils peuvent gagner en robustesse, en résilience : c’est là qu’ils recherchent des clouds européens réellement souverains. » Les plateformes françaises et européennes sont désormais compatibles avec les standards DevOps (Terraform, K8s managé, Ansible, GitOps, Prometheus, Grafana), simplifiant la migration et la gestion sécurisée des pipelines CI/CD. L’optimisation des coûts cloud devient indispensable, surtout avec la montée en puissance de l’IA qui fait exploser la demande sur les GPU et le stockage ; les acteurs européens misent sur une politique tarifaire stable face aux fluctuations des prix spot américains.
La sécurité et la conformité au premier plan
La sécurité et la conformité prennent une place croissante : le label SecNumCloud s’impose comme un standard, avec plus de 360 critères de conformité, très peu d’acteurs labellisés à ce jour. Ce label garantit un niveau de sécurité supérieur et fait office de référence tant pour les entreprises que pour les administrations migrantes vers une logique multi-cloud.
Les chiffres clés sont parlants : la part de marché US en Europe atteint 80 %. AWS affiche 17,5 % de croissance trimestrielle avec 30,9 milliards de chiffre d’affaires cloud. OVHcloud opère 43 data centers et a investi 1 milliard d’euros en trois ans. Scaleway annonce 2,5 milliards d’euros pour ses projets IA et data centers, avec une suite logicielle full open source, sans logiciel américain.
Effet d’entraînement et homelab domotique
Le mouvement de fond bénéficie d’un effet d’entraînement, notamment par l’accélération des commandes publiques européennes sur le cloud souverain, et par l’adoption croissante au sein des entreprises privées et administrations (médias, santé, secteur public) qui migrent leurs workloads critiques vers des clouds labellisés – souvent en mode multi-cloud. Cet engouement concerne également la sphère des utilisateurs avancés : on observe un essor de l’auto-hébergement dans les homelabs domotiques, via des solutions open source (Home Assistant, Jeedom, Proxmox…) et l’utilisation de clouds personnels européens.
Le modèle « cloud first US » remis en cause
Depuis quinze ans, les entreprises européennes se sont massivement tournées vers les hyperscalers américains—pour leur avance sur les infrastructures, leur écosystème d’outils DevOps et leurs services natifs à l’échelle mondiale. Mais au fil de la montée des enjeux réglementaires et géopolitiques, le modèle « cloud first US » est remis en cause par la souveraineté numérique, le RGPD, et les menaces du Cloud Act américain. Les acteurs européens renforcent leur offre : montées en gamme sur l’infrastructure, GPU pour l’IA, services Kubernetes managés, automatisation open source, stockage et opérations garantis en Europe.
L’automatisation (Terraform, Ansible, CI/CD, monitoring Prometheus/Grafana) est désormais aussi native sur OVHcloud, Scaleway ou Hetzner que chez les géants américains, ce qui rend la migration technique beaucoup plus directe et abordable. En parallèle, l’essor de l’IA générative fait du couple FinOps/conformité un double impératif : la gestion rigoureuse des coûts doit maintenant s’accompagner de garanties sur la sécurité et la localisation des données, du cloud d’entreprise à la smart home familiale.
Cloud souverain, automatisation et DevOps ouverts
Dans le détail, OVHcloud et Scaleway s’imposent comme les seuls acteurs à conjuguer, sur le cloud public, conformité SecNumCloud, automatisation avancée, et un écosystème DevOps ouvert. Leurs offres managées Kubernetes, leur support GitOps, leurs dashboards FinOps et leur compatibilité avec l’outillage open source offrent un terrain propice à la migration structurée des pipelines CI/CD d’entreprise comme des plateformes domotiques privées.
Conformité RGPD : une exigence accrue
La dimension RGPD devient déterminante : même des données conservées en France chez un fournisseur américain restent exposées au Cloud Act. La CNIL recommande, depuis 2023, le recours prioritaire aux clouds labellisés SecNumCloud pour les traitements de santé, de paiement, ou d’identité. Le contrôle juridique sur la donnée devient ainsi aussi stratégique que l’architecture technique.
FinOps et politique tarifaire
En matière de coûts et d’optimisation, OVHcloud et Scaleway développent des outils internes (Cost Explorer, alerting FinOps) et mettent à disposition des connecteurs pour solutions tierces. A prestation équivalente, les prix sur les nœuds Kubernetes managés varient du simple au double entre acteurs US et EU, et sur les GPU, les tensions ponctuelles peuvent désormais jouer en faveur des Européens.
Course mondiale à la puissance IA
La capacité IA est un enjeu central : Scaleway revendique la plus large capacité GPU Nvidia pour l’IA sur le continent. Amazon, de son côté, annonce un investissement record sur l’IA pour 2024, marquant une course mondiale à la puissance qui réinjecte de la tension dans toute la chaîne.
Domotique indépendante et migration facilitée
Le mouvement de dé-GAFAMisation se traduit aussi dans la domotique. Les intégrations Home Assistant sur cloud privé ou auto-hébergé séduisent par leur indépendance vis-à-vis des clouds américains. Certaines PME françaises, comme Gladys Assistant, investissent le tout open source pour la maison connectée. L’écosystème Docker/K8s universel facilite la portabilité de ces solutions, et la migration d’une stack domotique vers un cloud souverain ou un data center local devient routine.
Au salon VivaTech 2024, Scaleway a démontré une migration de cluster Kubernetes AWS vers Kapsule en moins d’une heure, via un pipeline GitLab et des scripts Terraform—preuve concrète que la souveraineté n’est désormais plus un synonyme de complexité.
Convergence sécurité, FinOps et open source
La boîte à outils DevOps reste la même ; ce qui change, c’est la capacité à garder la main sur ses données, ses coûts et sa conformité, que l’on soit responsable du SI d’une grande entreprise, développeur, ou passionné de smart home en quête de contrôle et d’éthique.
La fenêtre d’opportunité ouverte par la montée des cloud souverains européens, combinée à la maturité des outils d’automatisation, pose les bases d’un modèle où sécurité, conformité RGPD, optimisation FinOps et puissance de l’open source convergent. La question n’est plus « faut-il y aller ? » mais « comment migrer graduellement et sans rupture pour profiter pleinement du cloud européen ? »